L'oeil de Jeremy

18Mai/16Off

Dissoudre les mosquées radicales

Bernard Cazeneuve a annoncé qu’il souhaitait la dissolution des mosquées où sont tenus des discours radicaux. Cette mesure, encouragée par les instances du culte musulman, pose cependant de nombreuses questions. Deux jours après les attentats de Paris, et alors que l’état d’urgence est instauré en France, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a affirmé vouloir la "dissolution" des mosquées radicales, une mesure qui viendrait s’ajouter à l’expulsion des imams qui appellent à la violence et prêchent la haine. Il a précisé qu’une disposition en ce sens serait prochainement étudiée en conseil des ministres. "Je n'ai pas attendu l'état d'urgence pour traquer les imams radicalisés qui prêchent la haine", a ainsi affirmé le ministre, invité du 20 heures de France 2, dimanche 15 novembre. "L'état d'urgence, c'est la volonté, à travers la prorogation et la révision de la loi de 1955, de pouvoir de façon ferme et déterminée procéder à l'expulsion de ceux qui doivent être expulsés parce qu'ils prêchent la haine en France, qu'ils ont été engagés ou dont on soupçonne l'engagement dans des actions à caractère terroriste", a-t-il poursuivi. Si la mesure est accueillie de manière favorable chez les musulmans de France, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur son application. "Bien entendu, je suis favorable à la lutte contre le radicalisme et à toute forme d’appel à la haine, mais cela va être très difficile", observe ainsi Tareq Oubrou, grand imam de la mosquée de Bordeaux. "Les appels à la haine ou à la violence tombent déjà en théorie sous le coup de la loi", rappelle-t-il. "Si c’est de cela qu’il s’agit, pourquoi avoir attendu jusqu’à maintenant pour agir contre les auteurs de ces discours ?", interroge le religieux, auteur de "Profession imam" (2009, Albin Michel). Interrogé à ce propos, Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), salue le travail de prévention, souvent difficile, effectué par les imams de l’immense majorité des 2 500 lieux de culte en France. Il rappelle que le gouvernement, avec lequel le CFCM est en lien sur ces questions, lutte déjà de longue date contre la radicalisation, assurant qu’il y a régulièrement des expulsions d’imams. "À ce jour, 80 à 100 mosquées en France pourraient être concernées, c'est-à-dire qu’on pourrait les classifier comme radicales", explique-t-il, soulignant qu’elles sont bien connues du ministère de l’Intérieur. "Nous sommes dans un État de droit, on ne peut prendre des mesures que contre des personnes tenant des propos qui tombent sous le coup d’une loi", souligne-t-il. "Bien entendu, l’appel à la guerre sainte ou au non respect des lois doit être fermement combattu", renchérit Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). "Mais sur ces questions, il est difficile de savoir où placer le curseur", explique l’imam. Tareq Oubrou observe ainsi que d’autres propos, intégristes notamment, pourraient être qualifiés de "radicaux" sans être illégaux. Comme, par exemple, les déclarations de l'imam de Brest qui, en 2014, expliquait à des enfants que "la musique est la créature du diable". Ces paroles n'appellent pas à la haine ni à la violence et relèvent juridiquement "de la liberté d’expression, d’une différence de point de vue", explique Tareq Oubrou. "Pour quels motifs pourrait-on les interdire ?", se demande-t-il. Le religieux, habitué des médias, raconte par exemple être lui-même en désaccord avec d’autres imams qui prêchent la méfiance envers la société française ou ceux dont les enseignements ne sont fait que d’interdits. "Mais est-ce illégal ou dangereux ?", poursuit-il. Reste à savoir également ce que signifie concrètement une telle mesure et comment l’appliquer. Amar Lasfar estime ainsi que le mot dissoudre est "inapproprié". "Qu’est-ce que cela signifie, dissoudre une mosquée ? La fermer ?", interroge-t-il. "On dissout une association. Or, une mosquée est un lieu de rencontre et de rassemblement pour les fidèles", rappelle-t-il. Anouar Kbibech est du même avis sur ce point et appelle à la "prudence" dans l’application de cette mesure. "Ce sont des personnes physiques qui doivent être concernées, et il ne faut pas pénaliser les fidèles d’une mosquée parce qu’un imam a tenu un discours de haine", observe-t-il. Pour l’imam de Bordeaux cette annonce "vise avant tout à rassurer les concitoyens et c’est compréhensible". "Mais la radicalisation, ce n’est pas dans les mosquées qu’il faut la chercher". Nombre de jihadistes se sont en effet radicalisés en marge des lieux de culte, parfois des associations, mais souvent et surtout sur Internet et les réseaux sociaux. Une idée que partage Amar Lasfar : "Pourquoi persister à chercher dans les mosquées alors qu’on connaît les coupables et qu’ils ne se sont pas radicalisé dans les mosquées ?".

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